Maïté Tanguy : tisserande d’exception
Pour parler de sa passion et des moments de transe qu’elle lui a déjà fait traverser, Maïté Tanguy dit : « Parfois ça monte trop haut, il faut vraiment que je me calme ! » Et puis elle rit… A la fois douce et attachante, Maïté se confie toujours avec générosité et bienveillance. Elle qui reçoit dans son atelier parisien tout la haut perché. Quatre étages sans ascenseur et tous ces escaliers qu’elle ne rechigne jamais à grimper. Ici, c’est chez elle. Il n’y a pourtant pas de canapé ou de téléviseur. Pas de salle à manger ou même de chambre à coucher. Elle vit là, entre ses métiers à tisser, ses créations et ses bobines de fils colorés.
Ce matin elle est un peu fatiguée. A 73 ans, elle vient de boucler une commande pour une maison de haute couture et pense déjà à son prochain projet : réaménager l’espace pour pouvoir encore et toujours créer.
« Je ne m’arrêterai jamais. Je ne peux pas. C’est toute ma vie ! »
Originaire de Bretagne, c’est à 14 ans que Maïté se lance dans une école de couture. « J’ai vite senti que la matière m’intéressait et que j’allais prendre cette direction un jour ». Epouse et mère à 19 ans, celle qui rêvait d’être dessinatrice met son talent et sa créativité de côté pour rejoindre un atelier de retouches situé juste en face du mythique grand magasin « Le Bon Marché » à Paris. « J’y allais pour rêver ! » avoue-t-elle les yeux encore pétillants de découvertes.
Chassez le naturel, il revient au galop ! Après la naissance de sa deuxième fille, elle décide de travailler à la maison et de créer ses propres vêtements. « A 24 ans, j’habillais déjà toute la famille ! » Et puis c’est une rencontre professionnelle décisive qui lui fait approcher son premier métier à tisser. Elle n’a que 30 ans à l’époque et décide d’intégrer l’atelier national d’art textile aux Gobelins. Elle apprend vite. Très vite même ! Si bien qu’elle est prête pour ouvrir son tout premier atelier, quartier Mouffetard. « Au début j’avais ma boutique, mais j’étais tout le temps dérangée par les clientes, je ne pouvais pas créer ! C’est quand j’ai déménagé que j’ai vraiment pu me lancer. »
Ses prochains clients s’appelleront Christian Lacroix, Balenciaga, Christophe Josse, Lanvin et même Céline ! Maïté tisse tout : le coton, la soie, la laine, le fil de métal ou même le papier. Son objectif ? Créer les tissus les plus fous !
« Dans les années 2000, j’ai vraiment eu mes plus beaux projets. C’était merveilleux parce qu’on me laissait faire tout ce que je voulais ! »
« Quand je dois rendre des essais à des maisons haute couture, j’ai toujours peur que ça ne plaise pas. Mais le doute est nécessaire parce qu’il nous fait avancer ! »
Calme, patiente et créative. Voici les trois qualités qui selon elle ont accompagné sa passion lors de milliers d’heures de travail. Pendant ces longues années elle a aussi trouvé un rituel qui lui est propre: tisser en musique. « J’en choisissais une nouvelle pour chaque pièce et elle m’accompagnait en boucle jusqu’à la fin de la réalisation. » Lors de créations plus personnelles aussi pour s’exprimer davantage. « J’ai tissé Bach ! Je n’ai jamais su lire une partition mais j’écoutais la musique et j’ai placé chaque note sur le cadre de mon métier à tisser. Ensuite j’ai tissé de gros bigorneaux en métal pour remercier ma Bretagne natale. »
Enseignante pour les élèves de la ville de Vanves depuis 37 ans, elle leurs transmet son savoir-faire mais aussi cette passion qui l’a tenu debout une vie entière. « Je leurs conseille de prendre une direction. Ameublement, couture, art textile… On ne peut pas tout faire, sinon on se perd… Mais pour celles qui souhaitent se lancer, je leurs dit que c’est un métier merveilleux. »
Je dois me faire à cette idée : quand je partirai je n’aurais pas eu le temps de créer tout ce que j’aurai voulu !
Texte et photographies : Jessica Lia @jessicalia.studio